Après dix années à avoir porté le rôle de sélectionneur national, j’avais mis cette fonction entre parenthèses pendant sept ans. Sept années loin de la compétition, loin de cette intensité particulière qu’impose le haut niveau.
Et ce week-end, j’ai eu la chance de retrouver ce rôle, de repartir sur un championnat d’Europe avec une délégation fédérale.
    
I. Retrouver les sensations
Dès les premiers instants, j’ai senti revenir des réflexes oubliés, des automatismes presque physiques : comme pour toutes les compétitions, l’observation, l'attention, le rythme des journées, la lecture des situations, les athlètes, la gestion des imprévus... mais aussi le sentiment national qui monte chez chacun, le jonglage entre les langues, la composition d'une équipe allant de Brest à Toulon... C’est comme si tout ce que j’avais vécu pendant dix ans s’était simplement mis en veille, prêt à se réactiver à la première occasion.
Ce retour m’a rappelé pourquoi ce rôle m’avait tant marqué (tant changé) : parce qu’il exige, dans un univers inconnu, une présence totale, une concentration continue et une connexion forte avec les athlètes. Être sélectionneur, et plus généralement être coach en compétition, c’est être au cœur d’une tension permanente : celle de l’incertitude, de la confrontation, de la quête de performance. C'est éprouvant, mais c’est ce qui rend cette expérience unique.
II. Aimer l’incertitude
Alors que tout nous attire vers toujours plus de confort, j'irai jusqu'à dire que c'est le goût de l'incertitude qui me manquait.
Dans cet environnement, rien est acquis. Chaque instant compte. Chaque décision peut avoir un impact . On vit avec cette vigilance constante, cette lucidité qu’il faut maintenir des premiers signes corporels de la journée, aux derniers mots du debriefing.
Ce que j’aime profondément dans ce rôle, c'est de savoir que le potentiel de l'extraordinaire est là, en eux, mais que le chemin est à la fois ténu et escarpé. Le suivre jusqu'au bout impose tant d'exigence, tant de régularité, tant d'effort, que cela relève de l'improbable. Et pourtant... se battre, donner, donner et donner encore.
Pour déjouer les prognostiques et surprendre les septiques.
Pour rendre fiers les amis et le club qui regardent le live.
Pour inspirer les jeunes pratiquants par notre attitude et nos actions, grâce à l'image médiatique dont on bénéficie.
III. L’engagement de chaque minute
De l’extérieur, beaucoup pense que le sélectionneur/le coach, accoudé à sa barrière, observe tranquillement le déroulé de l'événement. Je me souviendrai toujours de cette personne m'ayant demandé de poster sur les réseaux en temps réel le déroulement des phases finales d'un championnat du Monde... À ce moment et dans bien d'autres, chaque minute demande une concentration totale : observer les athlètes, les adversaires, l'environnement, anticiper les besoins ou les questions, ressentir et décoder les comportements, préparer la suite, distribuer ou non les bons regards et les bons mots, s'effacer aux profits d'un autre point d'appui, ou s'afficher plus ou moins discrètement. C’est une activité continue, souvent invisible, et pourtant d’une intensité rare.
C’est en partie ce qui m’avait épuisé il y a sept ans, ce qui avait entre autre justifié mon départ : cette tension nerveuse constante, cette obligation d’attention absolue. Et paradoxalement, c’est aussi ce qui rend le rôle passionnant, ce qui fait se sentir pleinement investi et utile.
Retrouver cette tension, cette vibration propre à la compétition internationale, a été un vrai plaisir. Un plaisir profond, sincère, presque physique.
IV. L'équipe et moi
Bien que le calendrier et divers contingences nous aient contraint à une organisation très spéciale pour une Équipe de France, J’ai eu le privilège d’être entouré de personnes déterminées, préparées, solides. Des athlètes qui savent pourquoi ils sont là, qui ont construit leur parcours avec exigence et qui arrivent avec une vraie densité humaine et sportive. J'aime être aux côtés de telles personnes, et j'ai pleinement conscience du rôle des familles et des clubs dans ce processus.
Moi, je dois (ré)apprendre : la concurrence et les références internationales, les subtilités des procédures, l'attitude caméléon qu'exige les voyages... et bien sûr le fonctionnement d'athlètes que je n'ai jamais accompagné.
Moi, je dois construire : une harmonie avec des personnes qui n'ont pas l'habitude de fonctionner ensemble, forger des interactions stables et fiables, établir des confiances et des habitudes entre adversaires nationaux pour faire émerger une force collective à l'international...
Ce Championnat d'Europe m'a beaucoup apporté en la matière, mais il reste à faire. Je sais que le temps est mon meilleur ami, par les échanges et les mises en situation, nous construirons ce qui nous fera accomplir le meilleur.
V. En conclusion
Ce retour comme sélectionneur national a été un retour aux sources. Une manière de renouer avec une part essentielle de mon parcours, avec les exigences du haut niveau, avec la richesse humaine que portent les athlètes.
Cela a dors-et-déjà été douloureux, pour certains athlètes et pour moi. Des pleurs, des emportements et des excuses ont déjà jalonnés cette sélection. L'aventure est intense... et j'admets aimer ça.
Merci aux athlètes, Bastien, Gaëtan, Liam, Marie, Paul, Yoan.
Merci à leurs familles, leurs entraîneurs et leurs clubs.
Merci à Freddy et Ronan sans qui cette délégation n'aurait pas vu le jour.
À venir : dans un prochain article, je partagerai quelques constats et enseignements tirés de ce championnat d’Europe, sur le niveau national et européen, et sur les pistes de travail pour continuer à progresser.
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